C’est à la fin des années 2000 que nous avons fait la connaissance de Manuel Pineau, Mama pour les intimes. À l’époque, il travaillait au Domaine du Mortier, auprès de Cyril et Fabien Boisard, nos vignerons préférés sur les appellations Saint-Nicolas de Bourgueil et Bourgueil. C’est certainement là où il a parfait sa connaissance de la vigne, et appris quelques-uns des secrets des vinifications naturelles.

C’est en 2016 qu’il s’installe sur la commune de Vallet, haut-lieu de l’appellation Muscadet, tout en continuant à travailler chez d’autres vignerons (Bonnet-Huteau entre autres), et atteint progressivement … trois hectares, essentiellement plantés de Melon de Bourgogne, mais aussi de Folle Blanche et de Cabernets Franc et Sauvignon. 

Voisin de parcelle du regretté Guy Bossard, un des grands précurseurs des Muscadet naturels, c’est sur ces terroirs magiques, à la richesse géologique incroyable (granit, micaschistes, amphibolite, serpentine…), qu’il va enfin voler de ses propres ailes et se révéler.  Travail de la vigne proche des principes de la biodynamie, vinification en levures indigènes, aucune chaptalisation, pas de filtration, très peu de sulfites ajoutés.

Les Charusseaux (rouge et blanc), Le Clos des Landes, Baraka, le Jardin de la Hyonnière … nombre d’entre vous ont pu se délecter de ses magnifiques cuvées, vinifiées naturellement, aujourd’hui quasi introuvables. Des vins tantôt vifs, salins, tantôt gourmands, profonds, parfaits reflets de leurs terroirs. Essentiellement des blancs, mais aussi un rouge d’exception, Les Charusseaux, certainement un des plus beaux assemblages de cabernets ligériens, sur sols granitiques, que nous avons pu déguster. 

Comme il est de coutume pour les grands Muscadets, les cuvées de Mama se bonifient avec le temps, et offrent aujourd’hui à la dégustation une expérience gustative exceptionnelle, pour qui a su en garder précieusement. Il est difficile de dire qu’en si peu de temps, Mama s’est imposé comme un des meilleurs vignerons de son pays, tant le bonhomme est humble et la production confidentielle. Mais c’est pourtant la réalité, les cuvées auxquelles il a donné vie se plaçant aisément parmi les plus beaux vins de l’appellation, à la hauteur de celles qu’ont pu faire Guy Bossard, Jo Landron, ou Serge Batard.

Le temps est rude en Pays Nantais, et excepté en 2018, les années de gel s’enchaînent, réduisant la production à peau de chagrin. Si l‘on devait ne retenir de ces années difficiles un seul bénéfice, c’est certainement la naissance de la cuvée Baraka, merveille de vin vivant, assemblage des cuvées Charusseaux et Clos des Landes, et notamment le superbe 2021, année où Mama a décidé de ne plus du tout sulfiter ses vins - il en utilisait déjà très très peu. 2021, qui sera le dernier millésime de notre ami sur ses terroirs. 

En 2022, l’aventure se termine dans le Pays Nantais pour continuer dans la Drôme, à Die, où notre oiseau s’envole rejoindre sa Muse. Il s’y installe sur deux hectares d’un seul tenant, au pied de la Tour de Laure, sur un terroir composé d’alluvions des hautes terrasses du Diois. L’encépagement est mixte, Clairette Blanche et Muscat Petits Grains, et les vignes sont âgées d’une vingtaine d’années à plus de soixante-dix ans. Le pari est de taille : s’installer sur des terroirs qu’il ne connaît pas, avec des cépages qu’il n’a jamais travaillés et vinifiés. Il applique à ses nouvelles vignes les mêmes recettes empreintes de sagesse qu’à Vallet : « Ensemble, nous discutons longuement afin de se comprendre, pour que chaque année, il en résulte un vin. Issu d’un sol, d’un cépage, d’un climat et de la pratique d’usages loyaux, locaux et constants, je m’applique à transmettre ma passion au travers d’un travail respectueux du vivant ».

Les vendanges sont plutôt bonnes, et les vinifications se déroulent sans encombre. C’est à la dégustation des trois cuvées issues de ces premières vendanges en Diois qu’on réalise que notre ami est un magicien. Mirliton (100% Clairette blanche), Les Gafarots (100% Muscat Petit Grain), et Topi Topo, (assemblage des deux cépages macérés vingt jours), les vins sont précis, empreints d’une superbe aromatique jamais exubérante, d’une finesse et d’une gourmandise qu’on n’imaginait pas sur ces deux cépages.